Le cadavre ...
Le "cadavre" est une oeuvre de 15 tableaux réalisés par 5
artistes en l'espace d'un mois, sur le principe du cadavre exquis.
L'ordre de passage est tiré au sort.
Le premier artiste crée son oeuvre, et l'envoie au suivant.
Celui-ci a 2 jours pour créer en fonction de ce que lui inspire l'oeuvre
reçue, il envoie son propre travail à l'artiste suivant qui, de nouveau, a 2
jours pour créer et ainsi de suite, jusqu'à obtenir une oeuvre originale où
photos, dessins, musique et textes se succèdent, rebondissent, s'emmêlent,
s'entrechoquent...
dans les rôles principaux:
Anne: dessin, illustration
Anne-Lise: musique
Estel: photo
Franck: texte
Sarah: texte
01 Franck
Au large la rumeur
Ebranle les nuées.
Le ciel porte en clameur
Sa rage dénuée.
En bas, ça gronde ferme !
De ces poings en rafale,
Il frappe l'épiderme,
Dans un cri triomphal.
Sa robe pourfendue
Laisse passer l'éclat
D'un être inattendu
Au sein du pugilat.
Des rayons métalliques
Jaillissent des crevasses;
Sur l'onde famélique
Ils chutent en lavasse.
Les vagues se disloquent
Rompant aux commissures;
La mer brisée, en loques,
Pour panser ses blessures
Lance vers les cieux
Un regard suppliant.
Un rire malicieux
Raisonne au firmament.
02 Anne-lise
03 Estel
04 Sarah
Et dansent les plis de ta robe couleur du temps. La lumière qui t'étreint te rend encore plus belle, le sais-tu ? Seulement tu es trop enivrée par ta danse pour prêter attention aux autres, à ceux qui te regardent. Au fil des jours, ton pas se fait de plus en plus léger. Gracieuse et téméraire, tu t'entêtes à parcourir les mondes inconnus de tes yeux malicieux. Et le manège recommence, la vie, les rêves, ces nuits troublantes et ses petits matins chagrins. L'univers qui nous entoure te paraît familier et tu t'y abandonnes sans crainte. Non, ce qui te terrorise petite-fille, c'est l'endroit d'où tu viens. Ce sont les terres brûlées qui jalonnent ton enfance et l'escalier bleu qui mène au grenier. Univers de pantins et de monstres enfantins, tes souvenirs se troublent dans ta mémoire. Où était donc cette terre d'où tu viens ?
05 Anne
06 Franck
Etre de lumière,
qu’un grillage ternit,
derrière les barreaux de ton cachot,
aussi fin et léger que le sable
d’une plage inaccessible,
il y a un sourire, sur ton visage,
l’onde indicible sur la feuille d’un peuplier
qu’effleure une pluie d’automne…
Un arrêt sur image avant
de pleurer l’aube aveuglante,
comme le fracas d’un obus,
l’aube qui traîne avec elle
son lot de couleurs ensanglantées
que le voile de la nuit
te dissimulait.
07 Estel
08 Anne
09 Sarah
J’avais un mal fou à me souvenir de son visage. Petite chose de plastique que je traînais de partout, cette poupée était ma préférée. Sa petite robe rouge et son bonnet de laine blanc noué autour de son cou étaient parfaitement ajustés. Les ongles de ses mains étaient peints en rose bonbon et ses bras étaient potelés. Ses paupières étaient mobiles ce qui lui permettait de fermer les yeux quand on la basculait en avant. Par les pieds. Oui, c’était par les pieds et tête contre sol que je traînais cette petite chose dans la cour terreuse qui jouxtait la maison. A force de l’emmener avec moi un peu partout, poupée avait perdu quelques cils et son front était un peu écorché par les graviers. Ça, je m’en souvenais. Ma poupée ! J’avais bien soulevé sa robe quelquefois pour savoir si on était un peu pareilles, mais elle avait une petite combinaison de coton à laquelle se raccrochaient ses jambes et ses bras en plastique, et il m’était donc impossible d’aller vérifier de près son anatomie. Qu’importe…Ces derniers jours son visage m’était apparu mais si différent, si effrayant ! Deux tâches sombres avaient remplacé ses yeux, sa tête était nue et sa peau de plastique était toute craquelée et d’un ton grisâtre. Cette image allait et venait dans ma tête, dansant au milieu de mes souvenirs. Il fallait que je me débarrasse de cette vision qui commençait à perturber mes journées, que je revois le visage et la couleur de mon enfance. Mais comment était donc ce foutu visage ?
10 Anne-Lise
11 Anne
12 Estel
13 Anne-lise
14 Franck
Elles ont, d’Argentine, déclaré la guerre,
Les armées rouges, fendant le Nil, Pharaon !
Esclavagistes « sanguinea », sur le front,
Soutenant les efforts des noires légionnaires …
Les pestes ! Leur allégeance aux rousses ailées,
Quelques ouvrières obstinées, moissonneuses,
Les transforment en de redoutables tueuses,
De la lignée des « Attines », ces dévoyées !
De leur abdomen réglé en aérosol,
comme un parfum mortel, l’acide somnifère
s’écoule en pluie éparse sur les mellifères
Ces replètes pétrifiées sous les parasols…
Fuie mécoptéroide ! fuie, hyménoptère !!
Car d’un geste innocent, s’avance ton trépas !
Un météore ! un astéroïde ! le pas
D’un géant ! crack ! Prend fin le règne des aptères….
15 Sarah
Et voilà, tout était terminé. Je m’étais laissé éliminer telle une vulgaire petite fourmi. Balayé, écrasé, mis aux déchets. Les géants avaient gagné. Connaissez-vous les défis ? Ceux que l’on se lance à soi-même pour se prouver toutes sortes de choses ? « Ne pas marcher sur les plaques d’égouts qui jonchent les trottoirs tout en arrivant au bout de la rue avant la Peugeot qui arrive juste derrière moi sinon je meurs dans la minute ! J’ai réussi, quel as ! Mais au fait, qu’est-ce que j’avais dit que ça faisait si j’y arrivais ?» Voilà, ce genre de défis qui vous font avoir un comportement souvent curieux pour le reste de l’humanité, parfois même grotesque lorsque, en sueur et complètement essoufflé, vous sautez sur le dernier pavé du trottoir en hurlant « Ca y est ! ». Et bien cette fois-ci, les géants, ceux de la finance, du commerce international, ceux du consumérisme le plus primaire, m’avaient laissé pour mort, gisant à côté de mon ordinateur. J’avais pourtant surveillé mes investissements sur le site de ma banque…Mes actions chutaient plus vite qu’il ne faut de temps pour le dire. J’étais resté là pendant des heures avec ma tasse de café et mes cigarettes, perplexe, devant cet effondrement incroyable. La jungle infernale des chiffres envahissait mon esprit et à 16h21 précise, il ne me restait plus rien. Mort clinique de mon portefeuille d’actions. Ce n’était pas grand-chose, c’est sûr, rien même comparé aux milliards surréalistes qu’investissent les traders du monde entier, mais c’était important pour moi ! Comment encaisser cette défaite, me remettre de cette bataille héroïque livrée au prix du bon fonctionnement de ma santé mentale ? Comment pourrais-je raisonnablement me rapprocher de la mort en acceptant la réalité ? J’ai perdu ! J’allais devoir me faire une raison : la société de consommation m’avait terrassé.
FIN